La Nation gabonaise est en danger (Alain Claude Bilie By Nze)
AD – Libreville (Gabon) – Alain Claude Bilie By Nze à nouveau fait parler de lui ce jeudi à l’occasion de son discours dans lequel il a déclaré que : « La Nation gaboonaise est danger!.
Le dernier Premier ministre du président déchu, Ali Bongo Odimba multiplie ainsi les sorties médiatiques. Ce discours intervient après la sortie de son livre Awu m’Awou qui fait couler beaucoup d’encre et de salive sur les réseaux sociaux et dans les salons feutrés de la capitale gaboanaise.
Voici l’intégralité du discours d’Alain Claude Billie-Bi-Nze
LA NATION GABONAISE EST EN DANGER.
Chers Compatriotes,
C’est avec gravité, et en toute responsabilité, que je m’adresse à vous ce jour. Si je le fais, c’est pour m’interroger avec vous sur le point de savoir, si, sous nos yeux, nous allons laisser, sans tenir compte du jugement de la postérité, notre pays, notre cher Gabon, dériver vers ces rivages incertains et dangereux, dont l’histoire nous enseigne, pourtant, qu’ils ne sont jamais sans risques majeurs quant à leur impact sur la cohésion des nations.
Le Gabon est une nation, une et indivisible. Aussi, mon vœu est-il de voir, en vous interpellant, ici et maintenant, individuellement et collectivement, chacun de nous, prendre le temps de la réflexion aux fins de regarder avec lucidité, c’est-à-dire à travers « l’âme de la nation », la menace imminente que le projet de Constitution voulu par le Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI), fait planer sur notre vivre-ensemble, en l’agressant, de par nombre de ses dispositions.
L’heure est grave, notre nation est réellement en danger! En effet, avant même que ce projet ne soit adopté, notre société déjà se déchire, s’invective et se fracture. Se divisant en deux camps antagonistes, elle se renie implicitement comme entité unique et solidaire. Or, ce faisant, elle en vient à oublier le legs inestimable dont nous avons hérité des Pères-Fondateurs de la nation. Car, faut-il le rappeler, c’est la République qui a fondé la nation gabonaise, un certain 17 août 1960.
Chers Compatriotes,
Par cette disposition, les Pères-Fondateurs ont réussi à faire en sorte que toutes les ethnies gabonaises, et au-delà, puissent, sans heurts, constituer l’illustration vivante d’une idée, d’une abstraction, en étant l’identifiant de notre si bien aimé pays, le Gabon. Nous sommes donc la nation gabonaise agissante. En procédant ainsi, ils étaient pleinement convaincus, parce qu’ils en avaient une conscience aigüe, que cette agrégation des différences et des particularismes n’était possible qu’à partir de notre commune appartenance à ce sol gabonais que nous avons en partage. Et cet unique lien, à leurs yeux, était suffisamment fort pour réussir cette métamorphose patriotique et ontologique.
Du reste, ils ont traduit de manière non équivoque, cette création dans l’article 10 du premier Code de la Nationalité gabonaise de 1962, en ces termes:
« Ont acquis la nationalité gabonaise au 17 août 1960, à titre de nationalité d’origine :
1- Toutes les personnes qui, à cette date, étaient domiciliées au Gabon, ainsi que leurs conjoints et leurs enfants. Toutefois, cette attribution générale de nationalité ne prendra effet à l’égard es personnes nées hors du Gabon et de leurs enfants que si, dans l’année qui suivra la promulgation de la présente loi, elles confirment qu’elles entendent maintenir leur domicile au Gabon par déclaration adressée au Chef de l’État qui, après enquête et sauf opposition de sa part, la fait publier au Journal Officiel.
Dans ce cas, elles seront réputées détenir la nationalité gabonaise depuis le 17 août 1960.
Chers Compatriotes,
Étaient également concernées par ce dispositif:
1-Toutes les personnes, même non domiciliées au Gabon à cette date, qui sont nées d’un parent au moins de souche gabonaise.
C’est donc dans ce cadre que sont devenus Gabonais d’origine les Pongwè, les Eshira, les Fang, les Téké, les Apindji, les kota, etc. Il en fut de même pour certains membres des communautés « étrangères » installées au Gabon. Il s’était agi notamment des ressortissants de l’Afrique de l’ouest. D’où les Paraiso, les Attiso, les Padonou, les Saïzonou, les Adon, les Soufianou et bien d’autres, qui comptent parmi nos compatriotes. Les Françaises et les Français n’étaient pas exclus de cette attribution de nationalité : Jean-Claude Brouillet, le créateur de la compagnie aérienne Transgabon, en était la figure emblématique. Au nombre de ces Gabonais devenus, il y avait aussi le père de Monsieur Jean Ping. Il en va de même d’autres encore.
Depuis lors, nous avons toujours vécu ainsi, en bonne intelligence. Et à aucun moment, il n’a été discriminé entre les « autochtones » et les « allogènes ». L’excellence des relations de bon voisinage favorisaient qu’il en soit ainsi dans un climat de convivialité totalement assumé par tous ces Gabonais.
Chers Compatriotes,
Par cette démarche de sagesse, les Pères-Fondateurs avaient compris qu’une nation que l’on voudrait en harmonie avec elle-même ne saurait se bâtir autrement que sur le mode de l’inclusion. Grâce à ce choix réfléchi et judicieux, notre pays, notre Patrie chérie, a toujours été un havre de paix et de stabilité.
Avec le projet de Constitution du CTRI, il en va différemment. De façon manifeste, l’option retenue prône l’exclusion d’un certain type de Gabonais, en leur fermant l’accès à des fonctions réservées. Ne pourront y accéder que les Gabonaises et les Gabonais «nés de père et de mère gabonais, eux-mêmes nés Gabonais». C’est donc dire que seront désormais exclus de la communauté nationale, nos frères et sœurs qui auront eu le malheur de n’avoir qu’un seul parent Gabonais. Sont également exclus :
– Les gabonais ayant un conjoint étranger ;
– Les gabonais ayant la double nationalité ;
– Les gabonais résidant à l’étranger dans les 3 années précédant l’élection ; Les gabonais porteurs d’un handicap physique ;
– Les gabonais âgés de moins de 35 ans, assez vieux pour voter et trop jeunes pour être candidats ;
– Les gabonais âgés de 70 ans et plus, assez jeunes pour voter et trop vieux pour être candidats.
Cette situation aberrante, qui défie l’entendement, est visiblement l’expression de la volonté d’un homme qui pense, par cette stratégie d’élimination des uns et des autres, s’ouvrir les portes du pouvoir suprême, en n’ayant pas de sérieux et réels concurrents dont ceux venant de la Diaspora par exemple. Et ce n’est là que la continuation de l’écrémage déjà effectué, à travers le Charte de la Transition, contre certaines personnalités ayant participé à la gestion de cette Transition: ils ne peuvent être candidats à la présidentielle.
Chers Compatriotes,
Une telle mise à l’écart est d’autant plus malsaine et inacceptable que le chef de la Transition, lui, n’est pas frappé par cette mesure discriminatoire. Pourtant, aucune donnée juridique ne permet de valider cette triste option.
Ce constat est si vrai que la nation ne saurait être composée d’hommes et de femmes n’ayant pas le même statut aux yeux de la loi, notamment en droits et en devoirs. Autrement dit, le métissage qui est l’avenir de toutes les sociétés humaines, le monde étant devenu un village planétaire, ne saurait être acceptable que dès lors qu’il se situe hors des frontières nationales. Notamment dans le cadre de la légitime lutte pour le pouvoir qu’autorise le libre jeu démocratique. Une seule condition est curieusement exigée: il faut avoir le « sang pur ».
En tout état de cause, si le CTRI voulait être cohérent avec lui-même, il aurait dû également interdire à ces parias de la nation la qualité d’électeur. Car le statut d’électeur est lié à l’éligibilité. Et inversement.
Or, il est connu que sous tous les cieux où ce choix a été privilégié, les résultats, tôt ou tard, ont toujours été identiques: bains de sang, massacres et désolation. À cet égard, l’ivoirité et le cas des hutus et des tutsis au Rwanda devraient normalement être assez édifiants, pour ramener à la raison les promoteurs de cette violation des valeurs démocratiques. Surtout lorsque l’on sait que les mêmes causes produisent, à coup sûr, les mêmes effets; et que, dans tous les cas, c’est toujours la nation qui en sort meurtrie et en lambeaux.
Eu égard à ces fâcheux précédents, s’il est une réalité que chacun de nous doit toujours avoir présent à l’esprit, c’est que notre nation est l’agrégation de plus d’une cinquantaine d’ethnies, une particularité qui en fait en chantier en perpétuelle construction. S’il est incontestable que cette pluralité ethnique est une richesse, une force, il est tout aussi incontestable qu’elle peut se révéler être une faiblesse, quand elle est appelée à servir non la nation mais la promotion et la défense des intérêts personnels. Et lorsqu’il en est ainsi, l’on se fourvoie inéluctablement. Le CTRI y a-t-il pensé ?
Chers Compatriotes,
Les Pères-Fondateurs de la nation gabonaise, conscients de ce que seule doit être privilégié l’intérêt supérieur de la nation dans ces différentes composantes, s’étaient toujours gardés de brusquer les fondations qui en sont le socle. Ils savaient que dans une nation pluriethnique, l’équilibre est toujours précaire, d’où la recherche permanente d’un juste milieu qui participe de la cohésion et de la solidité du tout.
En raison de cette exigence forte, Léon Mba et Omar Bongo Ondimba, chacun à sa manière, mais avec les mêmes visées, ont toujours su se mettre à la hauteur des enjeux.
Ce faisant, ils savaient que notre pays, le Gabon, est avant tout un melting-pot d’origines et de cultures diverses. D’où la justesse et le pragmatisme de leurs approches respectives.
Il est évident que, dans sa nouvelle mouture sortie de la constituante muselée, le projet de Constitution ne changera rien d’essentiel au mal qui le mine depuis sa rédaction initiale, le but recherché étant toujours le même, à savoir faire du général Président du CTRI le futur président de la République. Tout cela en dépit du manquement à la parole donnée et du recours à un cadre juridique inapproprié, parce que discriminatoire où la séparation des pouvoirs n’est nullement affirmée, favorisant ainsi la présence à la tête de l’État d’un président-roi, omniprésent et omnipuissant. En fait, une personne que même la loi ne pourra arrêter, mais qui sera capable de tout faire, sans rendre de comptes à personne.
Et voici conserver et revigorer l’hyper-présidentialisme qui, depuis 1967, a tenu notre pays en dehors des normes démocratiques, avec ses terribles effets collatéraux. Ce projet ruine tous les acquis démocratiques de la Conférence Nationale de 1990 et des Accords de Paris de 1994.
Aujourd’hui, l’occasion nous est donnée, et nous l’acceptons, de sortir de ces ornières juridiques et politiques, manière de revenir aux véritables pratiques démocratiques. Alors, pourquoi donc ce projet constitutionnel fortement personnalisé nous empêcherait-il d’atteindre ce rivage fait de calme, de sérénité, de justice et d’équité ?
En vous regardant droit dans les yeux, devons-nous accepter qu’il en soit ainsi? Devons-nous accepter que l’ancien régime qu’on prétend combattre se perpétue, en pire, avec tous ses côtés les plus sombres qui ont pour nom: la patrimonialisation du pouvoir, donc une fois encore le règne des copains, des coquins et des consanguins ? Si on s’est trompé plusieurs fois… Cela suffit ! On ne peut pas se tromper éternellement !
Chers Compatriotes,
Le consensus ne s’étant pas fait sur le projet proposé, avec plus de 800 amendements pour un texte de 194 articles, il n’est pas trop tard pour mettre la balle à terre, comme on dit familièrement. D’autant qu’il vaut mieux prévenir que guérir. Demain, au moment de l’embrasement, il sera vraiment trop tard. Il est encore temps de rectifier le tir et de retirer ce projet mortifère, tout en recherchant les voies d’élaboration d’un projet plus inclusif et plus démocratique.
C’est le lieu d’interpeller ici la communauté internationale, notamment la CEEAC, l’Union Africaine et les Nations-Unies afin de nous aider à nous écarter des chemins de la discorde vers lesquels nous conduit le CTRI et de revenir sur le chemin de la concorde, de l’unité et de la fraternité voulu par les Pères-Fondateurs.
Chers Compatriotes
Si cette chance n’est pas saisie, nous nous souviendrons seulement de cette vérité qui veut que l’armée ne quitte l e pouvoir que par le même chemin qui l’y a amené, c’est-à-dire par un autre coup d’État.
C’est la raison pour laquelle nous rejetons avec vigueur tout projet consistant à accorder aux militaires fauteurs de coups d’Etat, une amnistie inscrite dans la Constitution. Tout au plus serait-il possible d’envisager une loi spéciale, à la condition qu’on dise à la Nation les crimes et délits pour lesquels cette amnistie est sollicitée.
Chers Compatriotes,
Dans les jours qui viennent, nous annoncerons une initiative pour permettre à nos concitoyens d’avoir un vrai débat sur la nature et l’organisation des institutions qui devront guider notre pays pour les prochaines décennies.
Merci de m’avoir accordé quelques minutes de votre temps.
Seul l’avenir dira…
Pour que vive le Gabon immortel, notre Patrie chérie !
APA/IM/ad/24